Paroisse Protestante de Quaregnon

Histoire

Quaregnon au fil du temps et à grand traits

L'étymologie de Quaregnon a donné lieu à nombre d'hypothèses et inspiré plus d'une fantaisie.  L'explication la plus plausible semble bien faire dériver le nom du village du latin quaternio, ou ensemble de quatre éléments.  Le territoire, à l'origine très étendu et incluant celui de la future commune de Pâturages, en aurait peut-être constitué les pacages boisés, sans doute peu cultivés et peuplés, des communautés ou villae proches de Hornu, Frameries, Eugies et Jemappes.  Il est possible qu'aux confins de Quaregnon et de Hornu, autre villa primitivement vaste, ait été établi au Bas-Empire romain (fin IVe-Ve siècle), sur une éminence, un port d'attache fortifié d'une classis Sambrica, petite flotte de défense voguant sur la Haine proche, munie d'un commandant de poste ou préfet (in loco Quartensi sive Hornensi).


Le christianisme se manifeste à Quaregnon au VIIe siècle, lorsque l'abbesse montoise sainte Waudru (morte vers 688) et un autre fondateur, son conseiller spirituel et politique saint Ghislain (mort vers 685) établissent un oratoire dédié à saint Quentin, germe de la première église paroissiale.  On a même pu soutenir, non sans pertinence, que le monastère waldétrudien aurait d'abord été implanté à Quaregnon puis seulement transféré à Mons (au IXe siècle, lors des invasions normandes ?), ce qui requerrait de situer à l'emplacement du fort susmentionné le (mons) Castrilocus dont parle la tradition issue de l'oeuvre de Waudru.  Voici qu'au Xe siècle, le comte de Hainaut Régnier III aurait à son tour occupé le site, fortifié, super Charum fluvium (le Rieu du Coeur ?), objet d'un siège (956) relaté par les grands chroniqueurs du temps.  Mais nous demeurons ici quant à la localisation des faits dans le domaine de l'hypothèse historique, fût-elle sérieusement étayée par ceux qui la formulent.


Toujours est-il que cette série d'épisodes caractérise un lieu de toute évidence fort ancien, noyau du village, où s'élèvent encore aujourd'hui les vestiges d'une muraille de grès dénommée "Château du Diable" (rue de l'Abbé, à quelques dizaines de mètres du carrefour des Quatre Pavés).  Les comtes de Hainaut ont probablement établi là un siège de leur cour originelle de justice dite "Cour des Chênes (quesnes)", héritière des assemblées de "grands" ou plaids francs, traditionnellement située - mais non localisée avec précision - à Hornu (vers 1000); des sessions y ont peut-être été tenues jusqu'au tournant des XIVe et XVe siècles, après quoi le site quaregnonnais aurait été résolument et définitivement abandonné au profit du château de Mons.


Le sanctuaire de Quaregnon est demeuré succursale de celui de Hornu jusqu'au début du XIIIe siècle au plus tard, étant alors érigé en église paroissiale.  En 1110, l'abbaye bénédictine de Saint-Ghislain en avait reçu de l'évêque de Cambrai Odon le droit de collation, quoiqu'elle fût sans doute depuis bien plus longtemps "curé primitif", détenteur de la fonction pastorale, comme propriétaire de l'église.  Elle en désigne donc le prêtre et gère les bénéfices ecclésiastiques dans la paroisse, telle la chapelle Notre-Dame à Monsville, citée aux XIVe-XVe siècles; elle perçoit une part des offrandes et des dîmes, dont profitent pour le surplus le curé et le chapitre Sainte-Waudru de Mons.


La présence des établissements religieux montois et ghislénien est aussi très intense sur le plan seigneurial.  Le sol de Quaregnon est partagé entre plusieurs seigneuries.  Celle de Sainte-Waudru d'abord (villa propria Beate Waldetrudis), avec droits de justice, maire - charge héréditaire - et échevins.  Celle de Saint-Ghislain, purement foncière, dépourvue d'échevinage propre - mais l'abbaye dispose d'un maire à Wasmuel -.  Celle du comte de Hainaut aussi, faite de terres et de droits de justice, sans doute détournés à une haute époque aux dépens du chapitre.  Quelques seigneuries foncières secondaires enfin, possessions de particuliers : citons le fief de Lambrechies, qui donnera plus tard son nom à un charbonnage.


Au XIVe siècle, Quaregnon s'étend, semble-t-il, sur une superficie de quelque 1.300 ha, ce qui équivaut aux territoires actuels de Quaregnon et de Pâturages, peuplée d'environ 450 habitants.  Jusqu'au milieu du XIIIe siècle, elle était demeurée une localité exclusivement agricole.  Mais petit à petit, l'extraction houillère va alors lui modeler un nouveau visage, les activités rurales, y compris l'élevage, demeurant toutefois largement dominantes jusqu'à l'ère industrielle.  Dès la seconde moitié de ce même siècle, un sergent est préposé par le chapitre et le comte à la surveillance des houillères et de la production.  Les veines y sont riches, variées.  Un règlement communal ou "bans" pour Quaregnon et Wasmuel, de la fin du XIVe siècle, traite surtout des pâturages et des droits d'usage au marais (près de la Haine, en direction de Jemappes) et au ruisseau (Quaregnonceau ou Rieu du Coeur), mais il est interdit aussi de laisser les puits d'extraction béants et prescrit de les signaler par une "tour et estaquement" (des piquets).  

Les premières houillères (textes de 1248, 1251, 1265, ...) se situent dans la partie méridionale du territoire au "pasturage de Quarignon c'on dist des Communes", comme le dénomment les "bans".  

On dénombrera près de 25 puits quaregnonnais en activité vers 1560, plus de 40 dans le premier tiers du XVIIe siècle.  Au XVIIIe siècle, pourtant, le nombre d'exploitations va décliner, en raison de la difficulté née de l'abondance des eaux : il en reste 20 en 1705-10, 8 en 1742.  Les associations de maîtres charbonniers, telle la Société du Rieu-du-Coeur (1783), initiatrice d'un des charbonnages les plus prospères de la région jusqu'au XXe siècle, et la mécanisation, en particulier l'adoption de la pompe à feu pour l'exhaure, allaient donner ensuite au secteur une vigueur nouvelle et lui faire franchir le pas d'une véritable industrialisation.  La première machine à feu (type Newcomen) boraine devait être édifiée au "Pasturage", à l'Auvergies (Grande-Veine-l'Evêque) vers 1735; le Rieu-du-Coeur en possédera une à partir de 1766.


Ces "Communs pâturages" ou "Communes de Quaregnon", jadis déserts, connaissent surtout, à la faveur de la découverte du charbon, un essor démographique marquant dans la seconde moitié du XVIIe siècle.  C'est pourquoi le 10 mai 1680, l'archevêque de Cambrai y érige une chapelle, convertie en église paroissiale autonome dès 1685.  Plus peuplée que sa voisine au siècle suivant, la paroisse devait obtenir le statut de commune sous le régime français (1792), chef-lieu de canton en 1801 - ce que Quaregnon ne fut jamais ! -, avec ses 3.208 âmes.  Quaregnon, pour sa part, compterait en cette dernière année 2.001 habitants.


Pour Quaregnon, le premier fait majeur du XIXe siècle est certainement le creusement du canal de Mons à Condé, décidé par décret impérial de Napoléon Ier en date du 18 septembre 1807, commencé le 18 octobre suivant  et terminé en 1818.  Cette voie d'eau contribue alors à l'essor du transport de la houille auquel, même aménagée, la Haine ne suffisait plus.  Plus tard, le chemin de fer dotera le village des gares de Monsville (1864) et de Quaregnon-Wasmuel (1878), sans compter celle de Pâturages, établie sur sol quaregnonnais.


Entre 1831 et 1866, la population de la commune est multipliée par 2,45, le coefficient de croissance le plus élevé du Borinage pour l'époque (Cuesmes : 2,44; Wasmuel : 2,37; Jemappes : 2,36; Boussu : 2,30; etc.).  Le bond démographique est encore de 56,2 % entre 1866 et 1900.  A la fin du siècle, 70 % de la main-d'oeuvre quaregnonnaise est occupée dans les charbonnages.  Ateliers de construction, fonderies, faïenceries, industrie de la chaussure, autres secteurs souvent liés à la mine fourniront aussi de nombreux emplois.  On sait toutefois que le Borinage dans son ensemble, à la différence d'autres régions telles que le bassin de Charleroi, ne connaîtra pas une industrialisation à la mesure de sa tradition houillère.  Epinglons l'une des dernières créations importantes, une centrale électrique, située partiellement sur le territoire de Baudour, indispensable pour la fourniture d'énergie par interconnexion aux mines et autres établissements industriels de la région (1926-29).


Depuis 1802, Mons et sa contrée relèvent au spirituel de l'évêque de Tournai, après avoir appartenu depuis les origines médiévales au diocèse de Cambrai.  Le développement paroissial de Quaregnon résulte aussi de l'accroissement de la population - 6.294 en 1846, 17.013 en 1910, lui-même fruit de l'essor économique.  La paroisse Saint-Joseph (Rivage) dispose dès 1870 d'un lieu de culte, annexe de l'église Saint-Quentin ("Quaregnon-Centre") : il est vrai que les habitants de ce quartier septentrional, alors au nombre d'un demi-millier, avaient réclamé dès 1786 un chapelain.  Une nouvelle pétition (1885) et de longues années d'attente leur apporteront l'autonomie paroissiale au début du XXe siècle.  Le 15 novembre 1901, le quartier du Sud, à la suite notamment d'une pétition de 1896, bénéficie de la même mesure, avec la paroisse Notre-Dame de Lourdes.  On traitera ailleurs et plus en détail dans ce volume de l'historique de la communauté protestante, organisée durant le dernier quart du XIXe siècle.


Quaregnon va s'affirmer comme un lieu-phare de l'histoire politique et sociale de la Belgique indépendante, avec la "charte" ou déclaration de principe du Parti Ouvrier Belge (créé en avril 1885) qui porte son nom.  Elle est élaborée lors du dixième congrès du P.O.B., tenu dans la commune boraine les 25 et 26 mars 1894.  L'année suivante, les socialistes conquièrent d'ailleurs la majorité absolue - l'une des premières en terre boraine, avec celles de Pâturages et de Cuesmes - lors d'élections communales à Quaregnon, par ailleurs bastion et siège du puissant Syndicat général des Ouvriers mineurs du Borinage, dirigé par Henri Roger (1893).  Ce dernier, bourgmestre faisant fonction de Quaregnon dès 1896, exclu du P.O.B. en 1900, inspire une dissidence (les "socialistes révolutionnaires") qui compromettra la majorité absolue durant quelques années (1903-1911) et rendra nécessaire pour la Fédération boraine du même P.O.B. la constitution d'une alliance locale avec les libéraux.


On notera qu'en 1895 s'est aussi créée à Quaregnon, quoique timidement encore, une section syndicale de la Fédération catholique boraine; la présence catholique au sein du monde ouvrier se renforcera d'ailleurs dans l'ensemble du Borinage durant les premières années du XXe siècle.


Les dernières décennies ont vu s'égrener les fermetures d'entreprises en tout genre, souvent d'ailleurs dans la foulée de charbonnages.  Après la première guerre mondiale, il subsistait 15 puits à Quaregnon.  Les derniers dont les portes se soient closes sont le Nord du Rieu-du-Coeur (ou Brûle), le 18 avril 1959, et le Rieu-du-Coeur n°2 (ou Epette), le 30 avril 1960 - là où, à plus de 1.350 mètres, l'exploitation avait atteint une profondeur maximale dans le bassin borain -.  Quoique les puits en fussent situés sur le territoire de Baudour, le charbonnage de l'Espérance (n°2 de la S.A. des Charbonnages du Hainaut), exploité depuis l'époque de la première guerre mondiale seulement, appartenait au paysage et au monde minier quaregnonnais, avec sa Cité Cosmopolite à deux pas de l'église du Rivage; sa fermeture intervint le 21 janvier 1966.


A la veille des fusions de communes entrées en vigueur à la date du 1er janvier 1977, qui l'ont vue s'unir à Wasmuel, sa proche et plus modeste voisine (3.698 habitants), Quaregnon comptait 17.184 citoyens : elle était alors l'entité la plus peuplée du Borinage.  Titre de gloire dans une période difficile ...?


Un aperçu forcément condensé et sélectif de son passé ne devrait pas extraire Quaregnon de son environnement borain.  La localité ne peut se prévaloir d'une bataille au retentissement européen comme sa voisine orientale, Jemappes, voici deux siècles, ou d'une succession de sièges en bonne place dans les annales militaires, comme son autre voisine, Saint-Ghislain l'emmuraillée, au cours des temps modernes.  Du praefectus classis Sambricae à la "charte" de 1894, quelques faits relativement atypiques lui ont toutefois permis de se singulariser.  Pour le reste, elle porte le témoignage du passé régional borain, dont le trait caractéristique est sans conteste l'exploitation charbonnière, qui ne doit cependant pas occulter la vocation longtemps et prioritairement agricole de ces terroirs : les Borains ne sontils pas avant tout et étymologiquement des ruraux, les "boeren" ou "Bauern", ainsi distingués de leurs voisins montois, même s'ils consacrent à l'extraction du charbon une partie de leur temps et de leur force de travail ?  L'accueil de la religion réformée par les Borains, de Quaregnon et d'ailleurs, mérite aussi d'être épinglé comme une singularité.  D'autres en traiteront ci-après, puisqu'il constitue l'essence même de ce livre.

Jean-Marie Cauchies

                                                

Doyen de la Faculté de philosophie et lettres

                                                SaintLouis de Bruxelles

                                                Professeur à l'Université Catholique de Louvain

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